La boite aux souvenirs
Aujourd’hui le cadran de la grande horloge affiche un chiffre honorable ! Une belle balade rythmée par l’alternance des saisons et au gré du tic-tac d’une vie quotidienne ordinaire. Des années d’accumulation de souvenirs ; des bons et des moins bons qu’on aimerait effacer afin qu’ils cessent de nous hanter l’esprit. Ouvrir la boîte aux souvenirs avec l’envie de refaire le chemin à l’envers et ne retenir que ceux qui mettent nos choix en valeur est grand. Cependant il me semble que les oublier, c’est aussi penser que nos rêves, nos fantasmes, nos illusions perdues, n'auront été que des erreurs ; ou des écarts de la pensée rationnelle qui ne s’accommode pas avec le jeu : du ‘stop ou encore’ ! Partir de rien et finir avec peu, fait de vous ; quoi qu’on en dise, un homme respectable !
Sur le chemin de l’exil
Le jour de mon départ pour Paris restera gravé dans ma mémoire à tout jamais ! Dans l’ignorance des choses de la vie, j’ai quitté la chaleur d’une chaumière où je suis né. Là, où grâce à la bienveillance d’une mère, j’ai grandi dans l’insouciance malgré des conditions de pauvreté dans lesquelles nous vivions. En dépit de mon jeune âge ma mère m’a laissé partir ! Aller travailler à Paris c’était mon rêve américain ! Une projection sur l’avenir plus exaltante que celle de rester en Bretagne où la poursuite des études après le certificat d’études primaire n’était pas envisageable pour des raisons financières. Si l’école publique était gratuite ; pour le collège ou le centre d’apprentissage, c’était l’internat obligatoire, un luxe pour une famille nombreuse vivant dans le besoin. Mon avenir était tout tracé ; soit travailler dans une ferme ou rejoindre mes deux frères aînés qui travaillaient à Bobigny chez des maraîchers de la banlieue parisienne. Ce qui me fascinait surtout, c’était de retrouver le Paris des livres d’histoires, celui de la révolution de 1789, le Paris de Victor Hugo, de la Commune, de la libération ! Une exaltation de l’esprit que je devais sans doute à mon instituteur qui m’avait donné l’envie de lire et à mon appétence pour l’histoire de France. C’est dans cet état d’esprit qu’au mois de novembre de l’année mille neuf cent cinquante-huit que je suis parti de Bellevue.
Un voyage qui a commencé tôt le matin. D’abord en taxi jusqu’à l’arrêt du CM (chemin de fer du Morbihan) qui devait nous conduire à la gare de Vannes. Je prenais le train pour la première fois de ma vie. Je n’oublierai jamais l’instant où il est entré en gare dans un bruit strident, crachant des étincelles et un nuage de fumée blanchâtre. Oui c’était bien une journée particulière qui m’attendait ce jour de novembre ! Des images d’une campagne différente s’offraient à ma vue à travers les fenêtres du train ! Les troupeaux de vaches et de moutons me semblaient plus grands qu’à Naizin ; les tracteurs remplaçaient les chevaux en ces jours de labourage. Je voyais défiler les haies bocagères, les bois, les forêts ! La campagne dans ses habits d’automne, m’offrait un immense bouquet champêtre pour saluer le début de ma grande aventure ! Le train de la ligne Paris Quimper s’arrêtait dans toutes les grandes villes ; Nantes vingt minutes d’arrêt, Anger dix minutes ! Le Mans quarante-cinq minutes, le temps de changer de locomotive et passer de la vapeur à l’électricité ! Plus de sept heures de voyage pour arriver à Paris sans avoir vu passer le temps. Enfin à l’arrivée à Montparnasse, dans l’inquiétude de ne pas retrouver mes frères aînés qui devaient m’attendre, j’ai commencé par trouver le temps long ! Pour autant pas question de céder à la panique, simplement suivre les recommandations d’avant le départ : laisser tout le monde descendre du train, attendre que le quai soit vide et ensuite se diriger vers la sortie, passage obligatoire pour tous les voyageurs ! Conseils pleins de bon sens car j’ai bien retrouvé mes frères à cet endroit. Le temps des retrouvailles et des embrassades, nous sommes descendus sous terre pour prendre le métro.
Moi qui pensais découvrir Paris éclairé de tous ces feux, ça sera pour une autre fois ! Plus que le tableau de gens pressés qui caractérise le métro, c’est l’odeur particulière qui s’en dégage qui surprend le voyageur ! Aujourd’hui encore, dans les rares occasions qui me sont données de le prendre, je me dis que le monstre au souffle puissant qui habite les sous terrains de Paris, a toujours aussi mauvaise haleine ! Après avoir passé une heure à regarder défiler des panneaux publicitaires qui vantaient le bien vivre dans nos régions, la qualité des vins du Beaujolais, des Galeries parisiennes, les meubles Lévitan, Félix Potin, nous sommes arrivés au terme de notre voyage souterrain , à la porte de pantin.
Monsieur Tolonias qui allait devenir mon patron, nous attendait à la sortie du métro. Ce jour de novembre était décidément le jour de la découverte de nouveaux décors en trompe-l’œil ! Des voitures tous feux allumés, circulant dans tous les sens et avançant par bonds, formant des colonnes illuminées, ponctués par un concert de klaxons qui avait surtout le don d’énerver tout le monde . Sans le savoir, ce jour-là, je venais de vivre dans la joie ou l’enfer des embouteillages parisiens. Croyant toujours être dans Paris, je découvrais la banlieue de l’est parisien ! En fait, à part la voiture qui nous précédait et les réverbères absorbés par la nuit et un brouillard naissant, on ne voyait pas grand-chose ! En franchissant la porte du 18 de la rue Blanc-Mesnil à Bobigny, une nouvelle vie m’attendait. Vu l’heure tardive, le repas du soir ne m’aura pas laissé un grand souvenir dans ma mémoire ! Je me rappelle quand même que Madame Tolonias m’avait promis un bon repas pour le lendemain en guise de bienvenue ! Toujours dans le noir nous sommes rentrés dans une autre bâtisse, un escalier en bois menait dans une pièce que j’allais partager avec mon frère. Malgré la fatigue j’ai eu bien du mal à trouver le sommeil ; toute la nuit j’ai entendu des trains rouler, les claquements métalliques des coups de tampons et les crissements aigus des freins de wagons. Au réveil je croyais sortir d’un rêve, la tête remplit de confusions. ! En fait ces bruits qui ont troublé mon sommeil, provenaient de la gare de triage de Pantin distante de quelques centaines de mètres !
Avec du recul, le récit mon voyage s’apparente un peu à la joie d’un gosse devant un sapin le 25 décembre au matin ! La magie du père Noël n’étant pas éternelle, on a vite une autre approche de la valeur des cadeaux que nous offre la vie ! En attendant l’heure du départ de mon train, nos pas nous ont guidés dans une de ces boutiques à cent francs où l’on trouvait de tout ! Bien que mon baluchon soit bouclé, ma mère m’a racheté deux chemises et un pantalon pour les sorties du dimanche ! Puis un portefeuille rouge vif , une imitation en peau de crocodile ! Ce cadeau ne me plaisait pas, il était tout collant et il s’en dégageait une odeur épouvantable ! En voyant la tête que j’ai dû faire, ma mère a cru bon de préciser que ce n’était que du toc ! Ne voulant pas la vexer je lui ai demandé de l’échanger avec son vieux portefeuille qui commençait à partir en petits bouts. J’entends encore sa réponse :" tu sais mon gars, dans le mien il y a toujours eu plus de place pour la misère que pour la fortune" J’ai gardé son cadeau sans trop chercher à comprendre le sens de ces mots. Aujourd’hui je sais qu’ils signifiaient la confiance et l’espoir de voir tous ses enfants, vivre une meilleure vie que la sienne ! Le petit bout de chemin fait ensemble s’est arrêté sur le quai de la gare. Je suis monté dans ce train pour Paris sans deviner les larmes qui coulaient sur les joues de cette mère aimante qui voyait son fils heureux de partir! Combien j’ai dû lui paraître égoïste de ne pas partager ses larmes !
Je ne sais plus ce qu’est devenu ce portefeuille rouge, par contre cette journée me taraude l’esprit chaque fois que l’actualité se concentre sur les causes et les conséquences de l’immigration des populations dans le monde. Bien sûr mon exil en banlieue parisienne n’était en rien comparable avec le drame qui se joue en Méditerranée et ailleurs, mais en réfléchissant un peu, les causes et les conséquences avaient bien les mêmes similitudes !