Il arrive parfois que notre esprit se laisse aller au vagabondage, il s’autorise des petits retours sur notre passé en plongeant dans l'océan des souvenirs, le laissant partir à la dérive; c'est moins fatigant que faire un cent mètres nage libre dans une piscine! Dans Dans les années soixante, je fréquentais un petit bistrot de Bobigny. A cette époque; étant plus sportif qu’aujourd’hui, j'allais d'Aubervilliers au café des six marches à Bobigy en petites foulées! Une heure pour l’aller et un peu plus pour le retour… les fois où mon frère Denis, ou mon ami Jo Moustache ne pouvaient pas me raccompagner à la pension de famille du dix huit de la rue Bisson où je logeais. Soixante années et plus se sont écoulées et ce qui me revient en mémoire aujourd'hui, ce sont les soirées de discutions avec mon ami Jo qui n’en finissaient pas ! Je crois que je lui dois ce goût du ‘bavardage’ qui irrite et provoque les gens peu enclins à prendre part aux conversations considérant à tort qu’il 'vaut mieux se taire que de parler pour ne rien dire' ! Pour celles et ceux qui affirment que la parole est d’argent et que le silence est d’or , on peut aussi affirmer que la parole que l’on veut taire représente des intérêts soustraits à la recherche de la vérité ! On comprend mieux pourquoi et comment les richesses qui engendrent la misère et l’ignorance dans ce bas monde, sont entourées de tant de mystères ! Pour mon ami , la meilleure façon de percer le secret d’un mystère était de le démystifier en opposant la réalité du mythe à celle de la raison ! Je vous laisse imaginer la théâtralité de l’exercice intellectuel, dans l’ambiance enfumée d’un bistrot. Une assistance quelque peu avinée, composée de prolos, de bourgeois en goguette, de retraités, de clients de passage, débattant sur le droit à la paresse ou sur les droits de l’homme, de la mission de civilisation de l’église en Afrique ou de la guerre d’Algérie qui n’en finissait pas ! Jacqueline, la tenancière des lieux veillait fermement sur la bonne tenue des tribuns d’occasion et de la tonalité des discussions ! Aussi, quand elle le jugeait bon elle faisait savoir à l’assistance qu’on pouvait également parler de la pluie et du ciel bleu juste le temps de finir son verre avant.... de refaire le monde!
Avec du recul et d’un peu plus de sagesse que je dois au cadencement des aiguilles de la grande horloge, je peux dire que ce temps passé à parler de tout et du contraire ; était une forme primaire d’éducation populaire. Elle restera pour moi une référence qui m’aura permis de grandir et de parfaire un savoir acquis sur les bancs de l’école communale. Ce que je retiens aussi de cette période d’apprentissage de la vie : c’est que pour plaire ou séduire dans la société, il ne faut pas renoncer à rester soi-même , ne serait-ce que par respect au principe d’égalité entre les humains. Ce n’est pas une chose facile quand l’ambition et l’orgueil dictent votre conduite. Ce n’est pas non plus le raisonnement philosophique professé aujourd'hui dans les écoles ! C’est plutôt le contraire où les maitres-mots sont : gagner c'est réussir, pour être le premier faut être le meilleur, et comme si cela ne suffisait pas, pour paraître il faut trôner sur la plus haute marche , briller à en faire pâlir le soleil ! Mon propos peut sembler être excessif , pourtant depuis la naissance de l’ère industrielle, selon une pensée dominante, le pouvoir et l’acquisition du savoir, est toujours la condition première pour gagner le ‘pain’ qui nous permet de vivre. Quant à réussir sa vie ? c’est une chose qui peut être considérée différemment, selon ses envies et son talent c’est concrétiser ses projets ; en agissant seul ou dans l’idée du partage avec les autres en se gardant des situations conflictuelles entre nos semblables. Vouloir toujours refaire le monde, malgré l'énormité de la tâche : c'est de mettre un coup de pelle au cul l'injustice comme le chantait Serge Kerval, avoir le droit de pisser dans le vent sur ton bateau et montrer ton cul à l'insolence ! Et puis... s’il m’était donné encore une fois, d’échanger sur le sujet avec mon ami Jo , il serait en accord avec moi pour dire que se tuer au travail pour gagner sa vie, est une idée à la con !
[Les hommes] sont si enclins à la servitude, que, de peur de manquer à servir, ils se vendent les uns aux autres leur liberté. C'est ainsi que les jeunes sont esclaves des vieux, les pauvres des riches, les paysans des gentilshommes, les princes des monarques, et les monarques mêmes des lois qu'ils ont établies. Mais, avec tout cela, ces pauvres serfs ont si peur de manquer de maîtres, que […] ils se forgent des dieux de toutes parts […] et je crois même qu'ils se chatouillent des fausses espérances de l'immortalité, moins par l'horreur dont le non-être les effraie, que par la crainte qu'ils ont de n'avoir pas qui leur commande après la mort.
Cyrano De Bergerac (1619-1655) Histoire comique des États et Empires du soleil. Plaidoyer fait au parlement des oiseaux contre un animal accusé d’être homme !