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 c'est à dire

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un autre regard....une expression libre , le débat citoyen, l'éducation populaire et permanente

le chant des sabots

Publié le par Hervé André
Publié dans : #le chant des sabots

 Il arrive parfois que notre esprit se laisse aller au vagabondage, il s’autorise des petits retours sur notre passé en plongeant dans l'océan des souvenirs, le laissant partir à la dérive; c'est moins fatigant que faire un cent mètres nage libre dans une piscine! Dans  Dans les années soixante, je fréquentais un petit bistrot de Bobigny. A cette époque; étant plus sportif qu’aujourd’hui, j'allais d'Aubervilliers au café des six marches à Bobigy en petites foulées!  Une heure pour l’aller et un peu plus pour le retour… les fois où mon frère Denis, ou mon ami Jo Moustache ne pouvaient pas me raccompagner à la pension de famille du dix huit de la rue Bisson  où je logeais. Soixante années et plus se sont écoulées et ce qui me revient en mémoire aujourd'hui, ce sont les soirées de discutions  avec mon ami Jo qui n’en finissaient pas ! Je crois que je lui dois ce goût du ‘bavardage’ qui irrite et provoque les gens peu enclins à prendre part aux conversations  considérant à tort qu’il 'vaut mieux se taire que de parler pour ne rien dire' ! Pour celles et ceux qui affirment que la parole est d’argent et que le silence est d’or , on peut aussi affirmer que la parole que l’on veut taire représente des intérêts soustraits à la recherche de la vérité ! On comprend mieux pourquoi et comment les richesses qui engendrent la misère et l’ignorance dans ce bas monde, sont entourées de tant de mystères ! Pour mon ami , la meilleure façon de percer le secret d’un mystère était de le démystifier en opposant la réalité du mythe à celle de la raison ! Je vous laisse imaginer la théâtralité de l’exercice intellectuel, dans l’ambiance enfumée d’un bistrot. Une assistance quelque peu avinée, composée de prolos, de bourgeois en goguette, de retraités,  de clients de passage, débattant sur le droit à la paresse ou sur les droits de l’homme, de la mission de civilisation de l’église en Afrique ou de la guerre d’Algérie qui n’en finissait pas ! Jacqueline, la tenancière des lieux veillait fermement sur la bonne tenue des tribuns d’occasion et de la tonalité des discussions ! Aussi,  quand elle le jugeait bon elle faisait savoir à l’assistance qu’on pouvait également parler de la pluie et du ciel bleu juste le temps de finir son verre avant.... de refaire le monde!

         Avec du recul et d’un peu plus de sagesse que je dois au cadencement des aiguilles de la grande horloge, je peux dire que ce temps passé à parler de tout et du contraire ; était une forme primaire d’éducation populaire. Elle restera pour moi une référence qui m’aura permis de grandir et de parfaire un savoir acquis sur les bancs de l’école communale. Ce que je retiens aussi de cette période d’apprentissage de la vie : c’est que pour plaire ou séduire dans la société, il ne faut pas renoncer à rester soi-même , ne serait-ce que par respect au principe d’égalité entre les humains. Ce n’est pas une chose facile quand l’ambition et l’orgueil dictent votre conduite. Ce n’est pas non plus le raisonnement philosophique professé aujourd'hui dans les écoles !  C’est plutôt le contraire où les maitres-mots sont : gagner c'est réussir, pour être le premier faut être le meilleur, et comme si cela ne suffisait pas, pour paraître il faut trôner sur la plus haute marche , briller à en faire pâlir le soleil ! Mon propos peut sembler être excessif , pourtant depuis la naissance de l’ère industrielle, selon une pensée dominante, le pouvoir et l’acquisition du savoir, est toujours la condition première pour gagner le ‘pain’ qui nous permet de vivre. Quant à réussir sa vie ? c’est une chose qui peut être considérée différemment, selon ses envies et son talent  c’est  concrétiser ses projets ; en agissant seul ou dans l’idée  du partage avec les autres en se gardant des situations conflictuelles entre nos  semblables. Vouloir toujours refaire le monde, malgré l'énormité de la tâche : c'est de mettre un coup de pelle au cul l'injustice comme le chantait Serge Kerval, avoir le droit de pisser dans le vent sur ton bateau et montrer ton cul à l'insolence ! Et puis... s’il m’était donné encore une fois, d’échanger sur le sujet avec mon ami Jo , il serait en accord avec moi pour dire que se tuer au travail pour gagner sa vie, est une idée à la con !

 [Les hommes] sont si enclins à la servitude, que, de peur de manquer à servir, ils se vendent les uns aux autres leur liberté. C'est ainsi que les jeunes sont esclaves des vieux, les pauvres des riches, les paysans des gentilshommes, les princes des monarques, et les monarques mêmes des lois qu'ils ont établies. Mais, avec tout cela, ces pauvres serfs ont si peur de manquer de maîtres, que […] ils se forgent des dieux de toutes parts […] et je crois même qu'ils se chatouillent des fausses espérances de l'immortalité, moins par l'horreur dont le non-être les effraie, que par la crainte qu'ils ont de n'avoir pas qui leur commande après la mort.

Cyrano De Bergerac (1619-1655) Histoire comique des États et Empires du soleil. Plaidoyer fait au parlement des oiseaux contre un animal accusé d’être homme !


 

    

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Publié le par Hervé André
Publié dans : #le chant des sabots

Ma mère, voilà 80 ans qu’en me donnant la vie, tu as entendu mes premiers cris et vu mon premier sourire, mes premières grimaces ! Merci de m’avoir donné ce qu’il y avait en toi de meilleur. Ce soir mon cœur se perd en souvenirs, mais quand ma solitude devient un fardeau, ton sourire me revient et le plus laid devient plus beau ! Quand tout en moi devient vieux alors qu’hier je n’étais qu’un enfant, quand la nuit s’apprête à passer devant mes yeux, mon tourment devient une tendre obsession car je pense toujours à toi Maman !! 

Le treize janvier 1944 n’est pas un jour comme les autres, non pas à cause du treize qui, parait-il est un chiffre porte-bonheur ; Le mois de janvier n’y est pour rien non plus . Quant à l’année 1944, l’histoire retiendra surtout les cortèges de deuils et de misères et cette guerre qui n’en finissait pas. Si cette date revêt un caractère particulier pour moi, c’est qu’elle correspond au jour que j’ai choisi pour venir au monde . Quand je dis choisi, j’exagère peut-être un peu, les lois naturelles de l’évolution des espèces sont certainement pour quelque chose. 

Cela, c’est passé à Bellevue, un petit village qui avait la particularité de contenir qu’une seule maison . Une petite chaumière, protégée des vents d’ouest par un rideau de chênes et de cerisiers.  Un poirier immense, planté au milieu de la cour  recouvrait de son ombre protectrice la chaumière les jours de grand soleil . En ce jour du 13 janvier 1944, malgré sa nudité, il conserve belle allure et pour l’heure sert d’appui au vélo de la sage-femme appelée pour délivrer ma mère de l’enfant qui allait naître .Comment ne pas avoir une petite pensée pour Léa qui fût la première à accueillir dans ses mains ; tant et tant d’enfants de Naizin !  

 

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Publié le par Hervé André
Publié dans : #le chant des sabots

La boite aux souvenirs

         Aujourd’hui le cadran de la grande horloge affiche un chiffre honorable ! Une belle balade rythmée par l’alternance des saisons et au gré du tic-tac d’une vie quotidienne ordinaire. Des années d’accumulation de souvenirs ; des bons et des moins bons qu’on aimerait effacer afin qu’ils cessent de nous hanter l’esprit. Ouvrir la boîte aux souvenirs avec l’envie de refaire le chemin à l’envers et ne retenir que ceux qui mettent nos choix en valeur est grand. Cependant il me semble que les oublier, c’est aussi penser que nos rêves, nos fantasmes, nos illusions perdues, n'auront été que des erreurs ; ou des écarts de la pensée rationnelle qui ne s’accommode pas avec le jeu : du ‘stop ou encore’ ! Partir de rien et finir avec peu, fait de vous ; quoi qu’on en dise, un homme respectable ! 

Sur le chemin de l’exil

         Le jour de mon départ pour Paris restera gravé dans ma mémoire à tout jamais ! Dans l’ignorance des choses de la vie, j’ai quitté la chaleur d’une chaumière où je suis né. Là, où grâce à la bienveillance d’une mère, j’ai grandi dans l’insouciance malgré des conditions de pauvreté dans lesquelles nous vivions. En dépit de mon jeune âge ma mère m’a laissé partir ! Aller travailler à Paris c’était mon rêve américain ! Une projection sur l’avenir plus exaltante que celle de rester en Bretagne où la poursuite des études après le certificat d’études primaire n’était pas envisageable pour des raisons financières. Si l’école publique était gratuite ; pour le collège ou le centre d’apprentissage, c’était l’internat obligatoire, un luxe pour une famille nombreuse vivant dans le besoin. Mon avenir était tout tracé ; soit travailler dans une ferme ou rejoindre mes deux frères aînés qui travaillaient à Bobigny chez des maraîchers de la banlieue parisienne. Ce qui me fascinait surtout, c’était de retrouver le Paris des livres d’histoires, celui de la révolution de 1789, le Paris de Victor Hugo, de la Commune, de la libération ! Une exaltation de l’esprit que je devais sans doute à mon instituteur qui m’avait donné l’envie de lire et à mon appétence pour l’histoire de France. C’est dans cet état d’esprit qu’au mois de novembre de l’année mille neuf cent cinquante-huit que je suis parti de Bellevue.

         Un voyage qui a commencé tôt le matin. D’abord en taxi jusqu’à l’arrêt du CM (chemin de fer du Morbihan) qui devait nous conduire à la gare de Vannes. Je prenais le train pour la première fois de ma vie. Je n’oublierai jamais l’instant où il est entré en gare dans un bruit strident, crachant des étincelles et un nuage de fumée blanchâtre. Oui c’était bien une journée particulière qui m’attendait ce jour de novembre ! Des images d’une campagne différente s’offraient à ma vue à travers les fenêtres du train ! Les troupeaux de vaches et de moutons me semblaient plus grands qu’à Naizin ; les tracteurs remplaçaient les chevaux en ces jours de labourage. Je voyais défiler les haies bocagères, les bois, les forêts ! La campagne dans ses habits d’automne, m’offrait un immense bouquet champêtre pour saluer le début de ma grande aventure ! Le train de la ligne Paris Quimper s’arrêtait dans toutes les grandes villes ; Nantes vingt minutes d’arrêt, Anger dix minutes ! Le Mans quarante-cinq minutes, le temps de changer de locomotive et passer de la vapeur à l’électricité ! Plus de sept heures de voyage pour arriver à Paris sans avoir vu passer le temps. Enfin à l’arrivée à Montparnasse, dans l’inquiétude de ne pas retrouver mes frères aînés qui devaient m’attendre, j’ai commencé par trouver le temps long ! Pour autant pas question de céder à la panique, simplement suivre les recommandations d’avant le départ : laisser tout le monde descendre du train, attendre que le quai soit vide et ensuite se diriger vers la sortie, passage obligatoire pour tous les voyageurs ! Conseils pleins de bon sens car j’ai bien retrouvé mes frères à cet endroit. Le temps des retrouvailles et des embrassades, nous sommes descendus sous terre pour prendre le métro.

         Moi qui pensais découvrir Paris éclairé de tous ces feux, ça sera pour une autre fois ! Plus que le tableau de gens pressés qui caractérise le métro, c’est l’odeur particulière qui s’en dégage qui surprend le voyageur !  Aujourd’hui encore, dans les rares occasions qui me sont données de le prendre, je me dis que le monstre au souffle puissant qui habite les sous terrains de Paris, a toujours aussi mauvaise haleine ! Après avoir passé une heure à regarder défiler des panneaux publicitaires qui vantaient le bien vivre dans nos régions, la qualité des vins du Beaujolais, des Galeries parisiennes, les meubles Lévitan, Félix Potin, nous sommes arrivés au terme de notre voyage souterrain , à la porte de pantin.

         Monsieur Tolonias qui allait devenir mon patron, nous attendait à la sortie du métro. Ce jour de novembre était décidément le jour de la découverte de nouveaux décors en trompe-l’œil ! Des voitures tous feux allumés, circulant dans tous les sens et avançant par bonds, formant des colonnes illuminées, ponctués par un concert de klaxons qui avait surtout le don d’énerver tout le monde . Sans le savoir, ce jour-là, je venais de vivre dans la joie ou l’enfer des embouteillages parisiens. Croyant toujours être dans Paris, je découvrais la banlieue de l’est parisien ! En fait, à part la voiture qui nous précédait et les réverbères absorbés par la nuit et un brouillard naissant, on ne voyait pas grand-chose ! En franchissant la porte du 18 de la rue Blanc-Mesnil à Bobigny, une nouvelle vie m’attendait. Vu l’heure tardive, le repas du soir ne m’aura pas laissé un grand souvenir dans ma mémoire ! Je me rappelle quand même que Madame Tolonias m’avait promis un bon repas pour le lendemain en guise de bienvenue ! Toujours dans le noir nous sommes rentrés dans une autre bâtisse, un escalier en bois menait dans une pièce que j’allais partager avec mon frère. Malgré la fatigue j’ai eu bien du mal à trouver le sommeil ; toute la nuit j’ai entendu des trains rouler, les claquements métalliques des coups de tampons et les crissements aigus des freins de wagons. Au réveil je croyais sortir d’un rêve, la tête remplit de confusions. ! En fait ces bruits qui ont troublé mon sommeil, provenaient de la gare de triage de Pantin distante de quelques centaines de mètres !

         Avec du recul, le récit mon voyage s’apparente un peu à la joie d’un gosse devant un sapin le 25 décembre au matin ! La magie du père Noël n’étant pas éternelle, on a vite une autre approche de la valeur des cadeaux que nous offre la vie ! En attendant l’heure du départ de mon train, nos pas nous ont guidés dans une de ces boutiques à cent francs où l’on trouvait de tout ! Bien que mon baluchon soit bouclé, ma mère m’a racheté deux chemises et un pantalon pour les sorties du dimanche !  Puis un portefeuille rouge vif , une imitation en peau de crocodile ! Ce cadeau ne me plaisait pas, il était tout collant et il s’en dégageait une odeur épouvantable ! En voyant la tête que j’ai dû faire, ma mère a cru bon de préciser que ce n’était que du toc ! Ne voulant pas la vexer je lui ai demandé de l’échanger avec son vieux portefeuille qui commençait à partir en petits bouts. J’entends encore sa réponse :" tu sais mon gars, dans le mien il y a toujours eu plus de place pour la misère que pour la fortune" J’ai gardé son cadeau sans trop chercher à comprendre le sens de ces mots. Aujourd’hui je sais qu’ils signifiaient la confiance et l’espoir de voir tous ses enfants,   vivre une meilleure vie que la sienne ! Le petit bout de chemin fait ensemble s’est arrêté sur le quai de la gare. Je suis monté dans ce train pour Paris sans deviner les larmes qui coulaient sur les joues de cette mère aimante qui voyait son fils heureux de partir! Combien j’ai dû lui paraître égoïste de ne pas partager ses larmes !

         Je ne sais plus ce qu’est devenu ce portefeuille rouge, par contre cette journée me taraude l’esprit chaque fois que l’actualité se concentre sur les causes et les conséquences de l’immigration des populations dans le monde. Bien sûr mon exil en banlieue parisienne n’était en rien comparable avec le drame qui se joue en Méditerranée et ailleurs, mais en réfléchissant un peu,  les causes et les conséquences avaient bien les mêmes similitudes !   

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Publié le par Hervé André
Publié dans : #le chant des sabots

Que sont devenus mes camarades de la communale ? Qu’ont-ils fait de nos rêves de gosse ? Dans quelles friches ont-ils été enfouis ? Dans quels océans ont-ils sombré ? Sur quelle terre promise se sont-ils réalisés ? En regardant la photo de la classe de Monsieur Pasco, je sais que beaucoup d’entre nous reposent dans le cimetière communal et que d’autres ont terminé leur voyage en d’autres lieux au-delà des océans.

Alain 7 ème    rang du haut.       Robert 4 ème  rang du milieu.        Moi    3 ème.    Rang du milieu

Alain 7 ème rang du haut. Robert 4 ème rang du milieu. Moi 3 ème. Rang du milieu

Alain te souvient-tu de nos escapades à travers champ ? Nous avions tant de choses à découvrir ; la moindre brèche dans un talus s’ouvrait sur un nouvel espace encore inconnu. Tu te rappelles du petit ruisseau du Clandy qui s’écoulait paisiblement à l’ombre des buissons et des roseaux ? Dans notre imagination il devenait un grand fleuve tumultueux et nous donnait des envies de voyages ! Toi tu voulais être marin, partir sur un grand voilier, devenir corsaire pour combattre les pirates. Les rêves sont magiques ! Tu avais fière allure à la barre de ton trois-mâts ; bravant la furie des océans en tempête, la cape et l’épée te rendaient invincible dans tous tes combats ! Hélas les rêves sont parfois cruels et de courte durée ! Même s’il me plaît de croire que tu as connu la douceur de vivre dans ces îles paradisiaques du bout du monde, il m’est difficile d’écarter l’idée d’une autre réalité. La main de l’homme a détruit la fontaine,  bouché la source qui alimentait le petit ruisseau qui ne coule plus dans les prés! Aujourd’hui il ne reste plus qu’un petit chemin creux envahi par les ronces et quelques saules qui survivent malgré la sécheresse de son lit ! Un beau jour tes parents ont décidé de déménager vers Pontivy, nous nous étions  promis de nous revoir ; promesse non tenue car, nous nous sommes jamais revus  !

Et toi Robert le champion du calcul mental ! Quand arrivait la leçon de calcul mental combien de fois as-tu soulagé ma détresse ? Les problèmes de robinet qui fuit et l'horaire des trains qui se croisent étaient ma hantise, toi ton problème c’était surtout l’histoire de France ; à part la bataille de Marignan; pour les autres dates c’était Waterloo dans ta tête ! Pour les interrogations écrites nous étions tous les deux les champions de la réponse volantes ! Pour les questions orales on s’en remettait au hasard et à la chance ! Elle était parfois de notre côté la chance, comme cette fois où nous avons fait le concours du meilleur tireur au lance-pierre en prenant pour cible les chopines en verre des poteaux télégraphiques ! À ce petit jeu nous étions plutôt adroits ; même de trop, comme ce jour où sur plus de deux cents mètres les fils du téléphone jonchaient dans le fossé ! Te souviens-tu de la peur du gendarme ce jour quand il a fait irruption dans notre classe en compagnie de Monsieur Le Coetmeur,  secrétaire de mairie ? Ils ne recherchaient pas les saboteurs ; ils étaient là pour une mise en garde contre la bêtise et les conséquences d’un tel acte. Quel soulagement pour nous ; de courte durée car dans la foulée l’instituteur a fait une revue de musette et nous voilà condamner au nettoyage des cabinets  de l’école pendant huit jours !  

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Publié le par Hervé André
Publié dans : #le chant des sabots

Nous étions dans les années 50 ; je gardais les vaches chez les filles Robin à Kerjaugic. Tous les ans, dès la venue du printemps, arrivait dans le village une voiture aux couleurs de la marine nationale. À son bord : un chauffeur , un officier en tenue de marin, son épouse et deux jeunes femmes ! Un équipage inhabituel dans un village où il fallait passer  par un chemin sans craindre les fondrières en hiver ou les nuages de poussières en été ! Aussi le chauffeur laissait sa voiture en bordure de route au croisement du chemin menant au village ; la fin du voyage se faisait à pied. Passé le temps des retrouvailles et des embrassades, je raccompagnais le chauffeur à sa voiture en poussant une brouette pour aller chercher des présents destinés aux trois sœurs et au commis de la ferme ; un paquet-cadeau pour chacune et un quatrième marqué de l’estampille Air Terre Mer : tabac pour hommes de troupe ! Le chauffeur se rendant compte que j’étais le seul à ne pas avoir de cadeau, a ouvert le carton destiné au commis et m’a donné un paquet de cigarettes ; me précisant que c’était pour mon père !

         Pour cette journée on avait mis les petits plats dans les grands à la ferme ! Brigitte comme à son habitude, s’occupait de la cuisine, Augustine fidèle à son rôle de maîtresse de maison avait composé le menu du repas, servi son apéritif favori ! Pour l’occasion elle avait dressé sur une nappe blanche des assiettes en porcelaine et des verres à pieds. Quant à Marie, généralement avare de paroles, elle semblait régner sur ce rassemblement insolite et faisait en sorte que la complicité des visiteurs du jour dépasse les considérations domestiques et les règles de bienséance. Un observateur averti aurait tout de suite remarqué que, hôtes et convives, n’appartenaient pas au même monde mais demeuraient unis par des liens qui avaient marqué une histoire commune.

         Après un repas moins frugal que d’ordinaire , un désir partagé par tous de faire le tour du propriétaire nous a conduit au verger sous un cerisier . Comme si tout le monde s’était donné le mot, j’ai été chargé d’aller cueillir quelques-unes de ces cerises qui faisaient envie ! Sans me faire prier je suis monté dans l’arbre pour la cueillette. Pour immortaliser ce moment, la plus jeune des filles a sorti une caméra de son sac et m’a filmé pendant que je jouais à tarzan de branche en branche avant qu’une d’entre elles ne se brisât sous mon poids ! Tout le monde a bien ri de ma chute ; à part moi bien entendu ! De retour à la ferme, c’était déjà l’heure de manger le gâteau et de boire le café . C’est à ce moment que les jeunes femmes ont demandé la permission d’emprunter l’échelle de meunier qui conduisait au grenier à blé. Le temps passé dans ce grenier m’a paru bien long ; une fois revenues parmi nous, elles ont embrassé longuement les trois sœurs en laissant couler des larmes sur leurs joues !

         Passe le temps, passent les années ! Les trois sœurs ne sont plus ; alors que le monde semble sombrer en déraison, que la vanité et la cupidité sont devenues des valeurs cardinales pour les puissants qui règnent sur nos destinées, le souvenir de cette journée me revient en mémoire. Du haut de mes sept ans, connaître le pourquoi des choses n’effleurait pas ma pensée, profiter du moment présent était plus important ! C’est Augustine qui la première est revenue sur cette journée. Par elle j’ai appris que la tradition voulait que depuis la fin de la guerre tout ce monde revenait passer une journée à Kerjaugic Vers la fin de l’occupation les sœurs Robin avaient hébergé à plusieurs reprises deux jeunes filles qui passaient la plupart de leur temps dans le grenier de la ferme à l’abri des regards, elles repartaient comme elles étaient arrivées ; de nuit et toujours à pieds !

         Dans le courant de l’année mille neuf cent quarante-quatre, à la tombée de la nuit deux femmes accompagnées d’un homme ont frappé à la porte de la ferme, l’homme portait un sac à dos et tenait une valise à la main. Après les salutations d’usage il présenta ses deux compagnes, qui selon ses dires, avaient pour père un officier stationné à la base sous-marine de Lorient et pour l’heure, étaient à la recherche d’un emploi dans la région et d’un endroit tranquille   pour se reposer ! Après avoir partagé une bonne soupe au lard, l’homme est reparti en oubliant sa valise, les sœurs se sont retrouvées dans le grenier où les attendait un lit-cage en fer. Le lendemain matin, Marie est monté au grenier pour prendre des nouvelles des  visiteurs du soir. Les choses se sont précisées, en fait elles ont avoué avoir un peu menti la veille et qu’en réalité elles devaient un certain temps, se tenir cachée de la police allemande. Marie a demandé des précisions sur les vraies raisons de leur présence à Kerjaugic ! La réponse a été franche et sans détour ; le groupe faisait partie d’un réseau de résistance , sa mission : transmettre des informations en Angleterre au moyen d’un poste émetteur ! Les aléas d’un périple semé d’embûches étant la cause de leur arrivée au village, les ont contraints à parer au plus vite en négligeant les règles de sécurité en usage dans la résistance. La question était de savoir si les sœurs Robin acceptaient d’entrer en résistance  en étant conscientes des risques encourus pour l’hébergement d’un groupe de terroristes aux yeux de l’occupant ! Elles pouvaient refuser ou accepter ; à condition de garder le secret absolu sur les agissements du groupe. Le commis de la ferme ayant pris connaissance de la situation, a lui aussi été soumis aux mêmes exigences. Voilà comment un village de Naizin est devenu un petit îlot secret de la résistance sans pour autant figurer dans les livres d’histoire. Peu de temps après le débarquement de Normandie les allées et venues du groupe ont cessé. À la fin de la guerre la vie normale avait repris son cours chez les Robin. Ils avaient fini par accepter de ne jamais connaître le nom, ni ce qu’il était advenu de ces gens qui par hasard un soir de mille neuf cent quarante-quatre avaient frappé à leur porte ! Puis un jour, sous le regard étonné des habitants du village, deux voitures, précédées par des motards de la gendarmerie nationale, firent leur entrée dans Kerjaugic. Dans la première, des représentants de la préfecture, dans la seconde : un comandant de marine, son épouse et une femme qui connaissait bien l’endroit ! Avec raison, les sœurs Robin ont tout de suite craint le pire pour ce qu’il manquait au tableau.  Du groupe qui avait séjourné dans le grenier, il ne restait plus que cette jeune femme venue témoigner des preuves de courage et d’abnégation de gens simples capables d’héroïsme ; des gens sans autre histoire que leur humanité ! À ma connaissance, cette manifestation du souvenir est le seul hommage officiel attribué à ce fait divers en regard du récit national de la résistance. Dans une dimension plus modeste, le commandant de marine, son épouse et la locataire intermittente du grenier ont continué ; à titre personnel, le voyage de Kerjaugic, jusqu’au jour où l’héroïne de cette histoire ; qui dans la vie était  la fille du commandant, s’est exilée au Canada.

          Soixante-treize ans déjà ! C’est peu, c’est beaucoup ? En fait… Peu importe ! Si cette période resurgit dans ma mémoire aujourd’hui c’est d’abord parce qu’elle porte le signe de ma première histoire en dehors du cocon familial. C’est aussi une expérience de vie qui permet de grandir en empathie avec les uns ; ou hélas, en apathie avec les autres ! Un hasard de voisinage m’a amené dans une ferme pour garder les vaches, à vivre avec des gens qui avaient une histoire et que j’ai partagée bien malgré moi parce qu’un jour ils m’en ont parlé. Un romancier pourrait trouver dans mon récit de la matière pour bâtir un roman. En écrivant ces quelques lignes, je me pose la question de la frontière entre un roman d’auteur et celui d’une vie ; ai-je tort ou raison ? Se remémorer nos souvenirs n’est pas forcément vouloir refaire le chemin à l’envers ! Mais pour que la fable soit complète, on ne peut dissocier ce qui fut avec ce qui est et encore moins avec ce qu’il en est advenu.

         Aujourd’hui les filles Robin se reposent dans le cimetière de Naizin ; voilà bien longtemps que personne n’est venu fleurir leur petit carré de terre. Quant à la fille du commandant ; je n’ai jamais retenu son nom mais il me plait de croire qu’elle a un jour visionné l’image d’un gosse de sept ans en train de lui cueillir des cerises !

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Publié le par Hervé André
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On l’appelait le vieux Léon, c’était un jeudi matin. Il était assis au pied du grand chêne du pré au pont . Le regard fixé sur le courant qui entraînait dans sa course des feuilles et des petites branches que le vent de la nuit avait arraché aux saules qui bordaient le ruisseau. Son chien dormait à ses pieds. Au loin, porté par le vent, le son des cloches du bourg de Naizin ; puis, le silence, suivi du cri strident du clairon qui sonne ! Le vieux Léon s’est levé, s’est adossé au chêne et s’est mis à pleurer ! La gorge serrée, ému de voir ce vieil homme pleurer, je lui ai pris la main et il m’a souri. C’était un matin, un jeudi semblable aux autres jeudis du temps où je gardais les vaches ! Nous étions ce jour- là : le onze novembre mille neuf cent cinquante-deux.

 

 

 

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Publié le par Hervé André
Publié dans : #le chant des sabots

Souvenir d’une journée de préparation à ma première communion. Lors de la leçon de catéchisme dirigée par le recteur de la paroisse de Naizin, j’ai ressenti un  profond malaise  que tous les cancres de la terre doivent connaître ! Alors que le curé me demandait de décliner les trois personnes de la Sainte Trinité, ma mémoire s’étant liquéfiée, j’étais dans l’incapacité de répondre à la question.

Le curé : André ! Quelles sont les trois personnes égales et distinctes de la Sainte Trinité ?

Sans réponse de ma part, le brave curé me demande de faire un effort, pour me mettre sur la voie de la vérité, il me souffla à l’oreille de penser à la sainte Famille.

Moi : le père !

Le curé : voilà ! Ce n’est pas plus compliqué et ensuite ? Me voyant de nouveau  hésiter il me demanda alors de réfléchir à ce que j’étais pour mon père.

Moi, triomphant : le fils !

Le curé : bonne réponse et puis encore, la troisième personne ?

Moi, en toute logique et avec certitude : La mère !

À part le curé, ma réponse à bien fait rigoler l’assistance. Une fois le calme revenu le curé m’a prié de sortir pour me punir de mon insolence et un manque de respect à la Sainte Trinité. N’ayant à aucun moment voulu être insolent ni manquer de respect à personne, j’ai subi cette punition comme une injustice, aussi en sortant de l’église, j’ai lancé comme un défi : je jure que je n’y remettrai plus les pieds dans ton église ! J’ai, en partie, tenu parole car il m’a bien fallu faire ma communion pour faire plaisir à mes parents, mais depuis ce jour, à part pour les mariages, baptêmes et enterrements, je n’ai pas remis les pieds dans une église !

Cet épisode de ma vie serait moins drôle si je faisais l’impasse sur la vengeance du curé responsable de ma rébellion de gamin. Le jour de la communion solennelle je me suis agenouillé comme les autres devant l’autel pour recevoir l’hostie, comme les autres j’ai tiré la langue pour recevoir le corps du Christ mais le curé qui officiait m’a regardé droit dans les yeux avant de continuer sa route en me laissant sur ma faim spirituelle !

Quelques années plus tard j’ai retrouvé Monsieur le recteur chez Dominique à Kerlorans ; une chapelle d’un autre genre où point n’était besoin de se confesser pour consommer ! Nous avons évoqué ce vieux souvenir. Il a appris de moi que j’avais tenu parole et que,  curé ou mécréant, l’important était de pouvoir en rire quinze années plus tard !

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Publié le par André Hervé
Publié dans : #le chant des sabots
un vendredi 13 juin à Bellevue

C’était le vendredi 13 juin 1975 : Une chape de plomb s’est abattue sur Bellevue. En début d’après-midi elle est partie la joie au cœur sur son vélomoteur pour le bourg de Naizin. Elle avait rendez-vous chez le tailleur pour faire retoucher sa robe neuve, pour être bien mise aux noces de Francis et Yvette. Ensuite elle a rendu visite à une connaissance décédée la veille, passée au café chez Titine, juste pour dire bonjour et lui faire part du mariage de Francis. Très vite elle est remontée sur son vélomoteur pour rentrer à Bellevue. Arrivée à Kerlorans elle a fait une petite halte chez Dominique, histoire de partager son bonheur. Elle a refusé le café que lui proposait Dominique en prétextant qu’elle était pressée ! Il lui restait 500 mètres à faire pour être chez elle ; sur la route, devant elle un tracteur , derrière, un car de ramassage scolaire. Arrivée au chemin qui menait à Bellevue, du bras, elle fait signe qu’elle allait tourner à gauche ; le chauffeur du car pensant qu’elle voulait doubler le tracteur, prend sa trajectoire et c’est le choc mortel ! Ma mère est morte avant d’avoir connu le bonheur du temps des noces !

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