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un autre regard....une expression libre , le débat citoyen, l'éducation populaire et permanente

On l'appelait poil d'oeuf

 Sans préjuger de quoi demain sera fait , je ne sais pas pourquoi qu'aujourd'hui l'image d'un traîne- savate ravive ma mémoire . Cet homme, maître carreleur de son état, compagnon du tour de France à titre de noblesse, aura été sans le savoir, mon professeur de philosophie particulière . Après bien des vicissitudes d'un parcours d'une vie ouvrière et le coup de pouce du mauvais génie, son périple l'a conduit aux portes de clochardisation. Histoire banale , un couple qui se déchire , la séparation, le refuge dans l'alcool et autres artifices qui entretiennent les illusions et l'alternance de la raison à la déraison. Cet homme malgré sa mauvaise fortune n'a jamais perdu sa bonne humeur , son élégance ni son savoir faire et encore moins le sens du respect aux autres afin de continuer à vivre dans un monde qui n'était plus le sien . Je me souviens qu'il se prénommait Jean , mais ça tout le monde l'avait oublié pour ne retenir que Poil d'oeuf , sobriquet de mauvais goût propre à l'imagerie et la férocité populaire . Qu'on l'appelât ainsi il s'en fichait comme de sa première chemise préférant dire que ses cheveux en l'abandonnant, lui avaient fait preuve de beaucoup d'ingratitude Lors de notre première rencontre dans un petit bistrot où beaucoup de bretons exilés en région parisienne venaient tuer le temps les dimanches après midi, Jean vint à ma rencontre en me disant ceci : Mon ami, étant en cet instant, financièrement dépourvu, pourriez vous m'avancer quelques pièces de monnaie, histoire de satisfaire à des besoins alimentaires ! D'abord surpris par l'emploi de la deuxième personne , étonné aussi par ce langage alambiqué auquel je n'étais pas habitué, j'ai toute suite pensé être tombé sur un de ces personnages pas ordinaires qui, selon les recommandations d'usage avant le départ pour la grande ville, il fallait toujours se méfier. Ce conseil s'affichait aussi dans tous les lieux publics et s'adressait particulièrement aux jeunes garçons et filles de Bretagne en partance pour Paris. Au diable les conseils, grand seigneur s'il en est, j'ai avancé mille francs (anciens) avec la sensation de jouer au riche ! Quelques semaines plus tard ayant sans doute retrouvé l'équilibre sur le plan financier, Jean m'a invité à sa table, a honoré sa dette , nous avons beaucoup parler du temps d'avant, enfin, du temps où les gens l'appelaient Monsieur !

La dernière fois que nous nous sommes vu c'était en 1959, il est arrivé dans notre petit bistrot le visage tuméfié et un bras en écharpe; un accident idiot m'a t-il dit, sans plus de détails ! en fait j'ai appris plus tard qu'un maraicher l'avait embauché pour des travaux de carrelage dans sa maison de campagne quelque part en Sologne. Une fois le chantier terminé il a attendu en vain qu'on vienne le rechercher. Alors il est parti sur la route, à pied sans un sou en poche . De retour à Bobigny il est allé réclamer son dû chez le maraicher qui en guise de salaire l'a foutu dehors après l'avoir battu comme un chien enragé. Cette histoire n'a pas fait la une des journaux car Jean avait choisi de garder le silence et l'ignoble crapule allait s'en tirer à bon compte, enfin presque car un soir de juillet des passants ont appelé police secours pour récupérer un homme qui se tordait de douleur devant une porte cochère ; son visage ensanglanté et quelques bosses sur son front laissaient à penser qu'il avait été victime d'une agression sauvage ! Cette affaire là n'a pas fait non plus la une des journaux et les abonnés aux rubriques faits divers seront resté sur leur faim.

Voilà le temps a passé, qu'est-il devenu mon ami Jean ? J'aime à penser qu'il aura connu une fin heureuse et gardé sa dignité malgré les stigmates infligées par la vie. Aujourd'hui étant un autre temps il ferait partie de ceux qui vivent dans la rue et qu'on nomme à tort SDF; statut attribué aux gens du voyage qui eux avaient pour domicile fixe soit roulotte ou une caravane ! Complexité du langage usité ou volonté de travestir la réalité ? Nonobstant la romance du marginal qui par choix, vivait libre de toutes contraintes dans la rue, le clochard était surtout victime d'un parcours de vie chaotique et d'une société qui ne s'en préoccupait guère. Les gens du voyages, dans leurs diversités culturelles, artisanales, artistiques n'ont jamais été des clochards ni reconnus comme tels par les services de l'état civil . Assimilation est un maître mot qui ne s'embarrasse avec le genre et la contradiction !

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